BEBERT
Saint Quentin en Yvelines, lundi 20 août 2007
Avec mon ami Marc nous avons choisi le départ à 21h30 avec le délai maximum de 90h.
Après les derniers préparatifs, repérage du parking pour la voiture, plaque de cadre etc. et chercher la réponse à l’éternelle question : quel vêtement mettre pour la nuit ? Nous passons un après midi relax dans les environs du gymnase des Droits de l’Homme.
Le temps est menaçant mais le soleil fait de belles apparitions laissant espérer un départ sans pluie.
20h30, je reste figé à l’entrée du stade ! Comment retrouver Marc, à qui j’avais donné rendez vous, dans cette foule sous laquelle disparaît la piste sablée. Autant chercher une aiguille dans une meule de foin.
Tout à coup j’entends qu’on m’appelle, c’est Marc qui m’a aperçu.
Lentement, très lentement, on s’avance vers le point de contrôle.
Tous les quarts d’heure environ un coup de canon donne le départ d’un groupe de cyclos.
Les discussions vont bon train, Marc me signale que Cathy et Edith nous attendent à la sortie du stade pour la photo.
A 22h nous ne sommes pas encore passés au contrôle de l’éclairage.
Soudain, ce qui devait arriver arrive, la pluie se met à tomber. Il faut changer de tenue, remplacer la veste pour l’imper, remettre le baudrier par-dessus, protéger les sacoches alors que l’eau se met à ruisseler le long des jambes.
22h15, enfin voici le coup de canon qui nous libère, au passage nous souhaitons une bonne nuit aux épouses de Marc et Jean Jacques que la pluie battante n’avait pas découragées.
Si vers Elancourt la pluie cesse, une deuxième douche nous accompagne plus tard jusqu’à Mortagne au Perche.
Le bon ravitaillement pris sur place nous requinque. Au moment de repartir nous retrouvons Walter, le Transalpin, faisant réparer sa chaîne cassée.
Il accepte notre proposition de faire route ensemble.
Seul un orage vers 14h perturbera la journée.
Les contrôles se succèdent et nous atteignons le 4ème, Loudéac, mercredi 22 août à 1h du matin.
Un bon café et un peu de repos sont les bienvenus.
La salle réservée pour les petits déjeuners ressemble plus à un dortoir, difficile d’y trouver un coin de table pour boire son petit noir.
Nous dormons une heure et repartons pour les 170km qui nous séparent de Brest.
Il est 13h quand nous y sommes, après avoir admiré, sous un soleil radieux, sa rade et le magnifique pont.
Au contrôle nous croisons Robert. Devant un café nous dressons un petit bilan de la situation.
Prenant en compte la fatigue et le manque de sommeil de plus en plus sensibles, nous décidons de dormir à Carhaix que nous atteignons à 18h30.
Le souper et la douche seront rapides, le temps de sommeil étant limité afin d’arriver à Loudéac avant 5h30, terme du délai.
Jeudi 23 août 1h30, le réveil est difficile, après le petit déjeuner le départ se fait sous la pluie.
C’est démoralisant, même la chaîne et le dérailleur ont des sautes d’humeur.
Au contrôle de Loudéc je passe par la guitoune du mécano pour huiler l’ensemble.
Un petit crachin nous accompagne jusqu’à Tinténiac suivi ensuite du retour du soleil.
Sur Fougères le ciel s’assombrit, l’orage gronde et la traversée de la ville s’effectue sous une pluie battante qui, fort heureusement, ne durera pas.
Dans la cohue nous perdons Walter et repartons sans lui.
Soudain je ressens des douleurs aux cervicales et dans le bas du dos. Je n’arrive plus à trouver une position satisfaisante sur le vélo.
Un peu de pommade et on continue.
Enfin voici Villaines la Juhel où nous retrouvons Walter.
Opérations de contrôle, souper au cours duquel nous faisons la connaissance d’un jeune de la localité qui vient de boucler son PBP en moins de 49h (décourageant !)
Il est 21h, il faut y aller, horreur il pleut.
La galère sur les 40 km qui suivent, effectués sur une route mouillée dépourvue de bandes blanches.
L’éclairage du Transalpin a rendu l’âme, après un arrêt sous un lampadaire de village l’incident est réglé.
Nous progressons lentement vers Mortagne.
Le sommeil me prend, je n’arrive plus à suivre une trajectoire, il faut que je m’arrête.
Walter me conseille de chanter pour rester éveillé, je lui fais comprendre qu’il a déjà assez plu comme çà !
Après une petite pause de 5 minutes l’envie de dormir disparaît peu à peu.
Vendredi 24 août 3h30, nous parvenons à Mortagne au Perche.
Petit ravito et 1h de sommeil sur un coin de table.
Provoqué par le vacarme d’un cyclo chutant avec son plateau repas, le réveil est brutal.
Au moment de repartir nous rencontrons Roby dans la queue du self.
Heureux de nous retrouver, il décide de nous accompagner vers Dreux.
Après quelques kilomètres, mes douleurs au bas du dos ne me permettent plus de tenir la cadence. Je dois me redresser régulièrement, l’intensité de la douleur nécessite des arrêts.
J’invite Marc à ne pas m’attendre et de filer, de mon côté je rentrerai tranquillement à mon rythme.
Walter veut rester avec moi, finalement, pas plus frais les uns que les autres, nous roulons ensemble jusqu’à Dreux, Marc poursuivra ensuite sa route tout seul.
Après Dreux la route me semble interminable, j’ai l’impression de tourner en rond.
Elancourt, Trappes, le but est bientôt atteint, les douleurs s’estompent.
14h30, j’arrive au gymnase des Droits de l’Homme, heureux d’en avoir terminé dans les délais.
Conclusion
Après deux départs à 5h, un départ à 21h30, par beau temps, me semblait être, à priori, un bon choix.
Les conditions météo ne m’ont pas permis de le vérifier.
L’édition 2007 est la plus éprouvante que j’ai faite.
Albert Marchetto
 
 
 
 
Le récit de Thierry
 
 « Dépasser les limites n'est pas un moindre défaut que de rester en deçà »
Confucius
Que reste-t-il aujourd'hui 5 novembre de cette parenthèse de quelques jours?
Une chronologie d'abord, avec pour origine, le jour où je décide de me lancer dans la préparation de cette aventure cycliste, à priori déraisonnable, mais si séduisante.
Motivations personnelles, intimes, familiales, ou parce que « cette montagne existe pour être gravie » tout simplement.
Dès ce moment, tout converge vers ce but. Sorties hivernales, dès novembre, en solitaire, de plus en plus longues, parfois une le matin et une autre l'après midi...réconfort à la maison entre les deux! Il faut s'endurcir m'a dit un vieux cyclo breton de Lamballe, alors j'applique la méthode des anciens, comme un cadet scrupuleux.
Les premiers brevets arrivent comme un soulagement: où en sommes nous?
Le 200, sur un magnifique circuit sélectif, à un rythme endiablé, calé derrière le tandem, ultra rapide sur le plat et dans les descentes mais qui « explosera » dès le premier col, la fin avec Laurent, un habitué de l'ultra endurance qui n'a pas d'autre but que de battre le record de l'épreuve... les vieux démons de la course et du classement: un peu idiot et décalé ici!
Le 300 débute avec un problème technique de lampe avant...et oui! c'est une autre activité que je découvre là...Départ isolé sous la pluie et la fraîcheur, sans feu arrière...et oui on vérifie l'état des piles avant de partir...Magnifique circuit autour du Ventoux, bouclé seul ou presque. Je ne me ferai pas prendre deux fois. Il faut changer cette selle et ce roulement de roue avant qui grince lamentablement après les averses...
Voici le 400! En nocturne et en groupe cette fois. Quelle ambiance! Une vraie révélation: les éclairages, les tenues réfléchissantes, les descentes à tombeau ouvert, sans y voir grand chose, concentré sur le feu rouge de celui qui vous précède...les senteurs de la nuit, les villages endormis, les chiens qui aboient dans le lointain, les noctambules qui nous encouragent, l'odeur du pain chaud au petit matin dans les villages encore endormis,...Souvenir amusé de cette hôtelière de Draguignan qui nous voit débarquer en tenues fluo, et qui a cru que nous arrivions pour manger...à minuit passé. Nous voulions simplement faire tamponner nos cartes de route...ouf! Les derniers clients ne voulaient plus nous lâcher, éberlués, curieux de tout savoir de nos projets, et nous de leur répondre, un peu fiers de tant d'intérêt. Jo saura y mettre bon ordre pour ne pas traîner davantage! C'est avec lui que je bouclerai ce brevet, si particulier, tôt le matin: heureux et chaleureusement accueillis (comme d'habitude) par les cyclos du club de Gap!
Enfin le 600! Avec l'inquiétude bien légitime pour qui n'a jamais roulé aussi longtemps: c'est bien mon cas. Départ à trois, Jo et Michel, et un quatrième invité: le vent. Contraire pendant près de 200kms. C'est à nouveau avec Jo que je boucle cette « tournée des grands ducs » en 24heures. Il m'en reste des souvenirs forts: un soutien moral mutuel indéfectible, deux chutes pour Jo et un problème mécanique après Digne: deux pignons opérationnels pour le retour: je dois déhancher davantage que Robic dans le col du Labouret et jurer, en breton, plus fort que mon grand père,ce qui n'est pas peu dire croyez moi. Inoubliables, le froid très vif du petit matin, le soutien matériel et moral des «  deux Maëlle », assurant notre assistance, admirables de compétence, de patience et de dynamisme. Notre stupéfaction enfin, en apprenant l'abandon de Michel, si près du but. La fatigue est cruelle. Retour sur Briançon avec le dossier d'inscription dans la musette, après avoir commandé la quatrième médaille...
Juin et Juillet: continuer de s'entraîner, de s'endurcir, garder les acquis. Les épreuves un peu « hors norme » son au menu: Défi des fondus de l'Ubaye (meilleur temps sur les 5 cols: la forme est là.) Super BRA de Grenoble (1er arrivé à Vizille: de bon augure..). Dans un mois le grand départ: restons modeste, ce sera une autre partition...
Août en Bretagne: les racines, la famille, les compagnons cyclos d'Erquy, les effets positifs et naturels de la vie en altitude: les jambes sont légères et l'essouflement faible. C'est quand le départ?
Lundi 20 août. Arrivé sur place le matin, je décide de prendre mon temps. Ma sieste s'est sans doute un peu trop prolongée, car lorsque je pointe sur la ligne, il y a déjà 1000 cyclos devant. Je suis de la deuxième vague. Le départ est rapide et çà frotte: c'est incroyable. Les étrangers roulent en équipes, parfois ils forment des éventails...ils s'interpellent très (trop) bruyamment. Je m'amuse à entendre les lampes tomber et rouler sur le bitume...jusqu'à ce soit la mienne qui se décroche! Maryline m'avait conseillé de m'alourdir d'une frontale: intuition féminine? Il m'en faudra une nouvelle si je ne veux pas écoper d'une pénalité. Dès notre arrivée dans la Mayenne, il commence à pleuvoir. Il n'y a guère que dans le Finistère que les routes seront sèches. Vent de face, pluie continue plus ou moins forte, pointages, arrêts ravitaillements avec changement de cuissard au minimum (ce qui implique pour mes deux fidèles « assistantes » des séances de sauna forcé: les vêtements sont séchés avec le chauffage de la voiture, à bloc position 4...) Il faut en parler un peu de ces ravitaillements tant ils sont importants physiquement et moralement. Soupe, pâtes, riz, semoule, café, crêpes, coca cola : plutôt du salé pour éviter la saturation au sucré. Sur le vélo, je consomme des sandwiches variés et des fruits secs. Maryline vérifie que j'ai tout mangé: c'est toujours le cas, je dévore pour « alimenter en continu la chaudière ». Seule la boisson du  « camelbak » est diététique. La progression se fait en groupe le plus souvent (c'est une nécessité), seul un peu aussi hélas, entre Fougères et Tinténiac. Il faudrait s'organiser pour repartir ensemble après les contrôles. De ce grand trait vers l'ouest, je n'oublierai jamais le passage sur le pont Albert Louppe avec une lumière extraordinaire sur la rade. Je n'oublierai pas non plus le passage du Roc Trévezel: des supporters en masse avec drapeaux, cornes de brume (de circonstance car nous sommes dans les nuages...). On se croirait dans un col pyrénéen un jour de Tour de France! Je reconnais mon frère Arnaud et sa famille: émotion! Brest enfin, je fredonne du Miossec. Celà fait 24heures que je suis parti. Tout va étonnamment bien. Au bout du monde, le ciel est bleu!
Une pause de 1h30 avec un petit somme et c'est reparti! Seconde nuit redoutée pour le novice que je suis. J'entre en terre inconnue. Je me cale dans un groupe de cyclos chevronnés. Ils ont des éclairages très efficaces. J'en profite car je redoute les petites routes de Brest à Loudéac. Je décide de dormir à Carhaix: 2heures pas plus. Maëlle a pour mission de me sortir de la voiture à l'heure dite. Elle sera sans pitié. Qu'elle en soit remerciée. Avec la fatigue, on a tendance à s'arranger avec les résolutions, et il fait si froid dehors...Le retour est rythmé, comme à l'aller, par les contrôles et, fait nouveau, par le passage chez les secouristes: douleur de plus en plus vive au tendon d'Achille gauche, et genou droit récalcitrant en danseuse. Il faut se résoudre à baisser le rythme et à allonger les arrêts. Tant pis pour le temps que je m'étais fixé. Il faut finir désormais, coûte que coûte.
La traversée de la Mayenne, malgré le vent froid de nord, est remarquablement chaleureuse: les enfants sont sur le bord des routes et ont improvisé des buvettes avec des gâteaux visiblement confectionnés par eux mêmes. Je roule à ce moment avec un gars natif du département: c'est du délire sur son passage. Il a rendez-vous à Villaines la Juhel avec sa famille; Cette petite ville a mis les petits plats dans les grands: arche gonflable, speakers qui se relaient, musée du PBP, expositions, artisanat...et tout les villageois dehors ma parole! C'est stupéfiant de voir autant d'intérêt pour les simples cyclos que nous sommes. On aime encore le vélo ici! Maëlle me refait la guidoline qui donne des signes de fatigue. Quinze minutes d'arrêt.
Le rythme plus modeste qu'à l'aller m'oblige à une troisième nuit...et, paradoxalement, j'ai une forme étonnante. Je me souviens avoir souvent galvanisé le peloton auquel j'appartiens en leur disant: « mais c'est une chance d'être ici les gars! On peut faire moins de soixante heures, c'est génial! » Je ne suis pas certain qu'ils ont tout compris car il y a beaucoup d'étrangers...J'essaie d'organiser le groupe et de le conserver jusque l'arrivée: l'union fait la force. Entre Mortagne et Dreux nous ne sommes plus que trois à prendre les relais. Les autres sont usés et sans réaction. Je m'énerve un peu, impatient de voir les lumières de la ville, à l'horizon des « mornes plaines » de la Beauce. Le petit matin est assez éprouvant physiquement, sans doute « l'odeur de l'écurie » et le relâchement qui en découle logiquement. Depuis Dreux, les douleurs à la selle sont insupportables (en dépit des changements de cuissard, l'humidité a fait des ravages!) et je ne peux plus me mettre en danseuse à cause de mon genou...cruel dilemne. L'humidité est totale. Petite moyenne sur les derniers kilomètres, sauf peut-être sur les boulevards de Guyancourt où, avec des polonais, on fait des sprints pancartes d'un feu à l'autre. C'est l'euphorie ou l'inconscience due à la fatigue, on ne sait plus!
Maryline et Maëlle sont à l'arrivée, fatiguées et contentes d'en avoir fini, elles aussi. Elles ont fait leur PBP, dans une autre version, certes, mais elles l'ont fait avec moi et surtout pour moi.
Retour à la « vie civile ». Retour en Bretagne chez les beaux parents. Accueil si chaleureux, si convivial: toute la famille est là. Papi Antoine, pâtissier de formation a confectionné le gâteau de circonstance: une vraie merveille. Il n'a pas perdu la main! C'est lui qui m'a donné l'idée de tenter ce pari, il le sait et une grande complicité nous unit. Il m'a permis de découvrir cette épreuve difficile, d'une incroyable richesse, et de pouvoir la partager avec tous mes proches. Je la lui dédie.
De retour à Briançon, j'apprends l'accident de Jo. Nous devions être au même moment à Mortagne. J'aurais imaginé une arrivée ensemble...Hélas. Je lui souhaite de pouvoir resigner dans quatre ans et d'arriver au bout de son rêve. La légende du PBP a besoin de guerriers comme lui.
Dans le Briançonnais, je fais quelques sorties avec le maillot du PBP sur le dos. Je finis de vivre mon aventure mais ce beau maillot ne me donne pas de force: il va falloir récupérer et refaire des réserves pour l'hiver. Ce sera chose faite lors du repas organisé par Jean Jacques, à Gap un soir d'octobre. Tous les « Paribrestistes » du 05 sont là. On ne se connaît pas tous mais quelque chose nous réunit désormais. Pendant trois ou quatre jours, on a pratiqué le même exercice, celui de l'effort, inutile au fond, et tellement inutile d'ailleurs qu'il faut absolument le vivre... C'est quand qu'on repart?
PS: Aujourd'hui, 6 novembre, j'ai gravi la Pointe de Pécé, au dessus de Plampinet. Un sommet très peu fréquenté, très isolé. J'ai été stupéfait de trouver au sommet (après trois bonnes heures de marche) un vélo! Un vélo de cyclotourisme, des années 50, bleu, pédalier Stonglight, dérailleur Huret... encore en bon état, avec inscrit sur la selle: «  sépulture merci ». J'ai trouvé çà beau.
Thierry